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Antonymes
2 août 2013

Greffe de moelle osseuse

MALADIE DE WALDENSTRÖM

Histoire de greffe

 

Cet article a été publié par Jean-Marc sur le blog Survivre  le 05 Juin 2007. Jean-Marc y relate sa deuxième greffe de moelle osseuse ayant eu lieu quelques jours plus tôt au centre Henri Becquerel de Rouen. Comme il le pensait, son blog lui a survécu puiqu'il est toujours en ligne.




Greffe de moelle osseuseEnfant, quand j'étais dans la peine, mon père me rappelait doctement que les grandes douleurs sont muettes, avant de refermer la porte de ma chambre. Ma mère pendant ce temps se reposait de son cancer au cimetière du village. J'étais absolument seul face à ma douleur. J'ai dû apprendre à l'étouffer en moi, en silence.

On n'échappe pas aisément aux fonctionnements psychologiques acquis pendant l'enfance. Mes proches savent qu'ils ne pourront rien faire pour moi pendant cette période d'hospitalisation. Je ne souhaite ni visite ni appel téléphonique. Ils le savent sans forcément le comprendre, mais me font la faveur de l'admettre. L'enfermement physique qui m'attend dans la chambre stérile va se doubler d'un enfermement mental auquel je ne peux me soustraire. Seule Caro échappe à la règle. Elle restera mon unique lien avec la réalité du monde extérieur pendant toute cette période. Pourtant quand la voiture s'arrête elle me demande encore une fois si je veux qu'elle m'accompagne. Inutile, lui dis-je en l'embrassant, puis je sors mes bagages du coffre et lui fait un dernier signe de la main en me dirigeant vers l'entrée de Becquerel. 

On ne perd pas de temps. Je suis arrivé depuis une heure à peine que déjà on m'a branché la perfusion de chimiothérapie destinée à détruire les cellules de la moelle.

Tant mieux, me dis-je en regardant le poison incolore s'écouler goutte à goutte dans la tubulure. Ne suis-je pas ici pour cela? J'ai encore quelques heures de tranquillité avant que les nausées ne s'emparent de moi.

Deux jours plus tard, elles sont là à traîner, quelque part entre le fond de ma gorge et la masse palpitante de mes tripes. Comme une troupe de hyènes en maraude, nez au vent, elles flairent à distance l'animal blessé et la charogne encore tiède. Je les connais. Elles ont le pouvoir redoutable de vous réduire à ce que vous êtes: un tube digestif doté de raison. Un tuyau pensant. Je les connais bien. Sournoises, elles attendent le moment propice, c’est-à-dire le plus inattendu, pour lancer l'attaque, déchaîner leurs spasmes, distiller leur fiel. Pour l'instant, elles rôdent.

J’ai parfois l’impression que s’espacent les cercles qu‘elles dessinent autour de moi. J'essaye de m'en persuader. Je tente l'autosuggestion. Tout ça, c'est dans la tête, me dis-je. Et puis on m’a administré tout à l’heure deux ampoules de Primpéran. Il suffit de penser à autre chose.

Greffe de moelle osseuse On essaye de n’y pas penser, mais on finit à un moment où à un autre, sous la pression du malaise qui croît, par ne plus penser qu’à ça. Je connais par expérience quelques règles que je m'empresse de respecter. Ne pas changer brusquement de position. Ne rien avaler que par lentes et minuscules gorgées. Ne pas tousser dans le but d’expectorer. Surtout pas. Tâcher de se faire oublier.

Je n’avale rien d‘autre que ma salive, avec mesure et prudence. Je reste immobile dans mon lit et respire à petites goulées. Ma dernière tentative pour prendre un peu d’eau pour cause de bouche desséchée était risquée, mais je n’en pouvais plus. Il me fallait de l'eau absolument.

L'attaque est foudroyante. Brusque afflux de salive glacée qui inonde la bouche, j’ai juste le temps de m’asseoir et d’attraper un récipient à la volée.
Cette fois j’ai l’impression que je vais vomir mon propre estomac. Il s’y reprend à maintes reprises, le bougre, avant d’admettre qu’il ne pourra pas passer en un seul morceau par mon œsophage.

Enfin, après une ultime et violente tentative qui me tire les larmes des yeux, il finit par régurgiter comme par dépit une petite cuillerée d’un liquide mousseux de couleur jaune vif au goût tellement corrosif que je crois bien voir s’échapper de la bassine de plastique une vapeur méphitique, verte comme un nuage de chlore.

J’observe un moment ce maigre résidu le souffle court et les yeux embués, bouchant toujours d’une main mes narines afin d’éviter les douloureuses remontées par les fosses nasales, indifférent aux lamentables filets de salive qui font le téléphérique entre mes lèvres et le fond de la bassine.

J’attends le cœur battant la vague suivante. Elle ne tarde pas. Nouvelle lutte entre l’estomac qui veut passer et l’œsophage qui résiste. Brève et violente. Quelques longs spasmes accompagnés d’odieuses éructations. Au bout du compte il n’y a pas plus de liquide dans la bassine que tout à l’heure, mais mon corps est entièrement recouvert d’une pellicule de sueur glacée.

Je halète comme un animal blessé. Je tremble. La bave coule de ma bouche sans retenue. C’est le moment délicat. On espère que s’en est terminé pour cette fois, mais il suffit de rien pour faire repartir une nouvelle série de spasmes. Renifler, avaler sa salive, penser…

Et ça recommence cet estomac dont j’imagine qu’il se retourne dans mon ventre comme un gant qu’on essore, et qui finit quand-même par délivrer au prix exorbitant de rots infâmes et de gémissements incontrôlables un ultime filet de suc gastrique, quintessence de la quintessence de ce que mon corps peut délivrer de plus infect. Épuisé, je ne suis plus qu’un viscère grelottant qui tient une bassine à la main en bavant.

Je reste ainsi plusieurs minutes l’esprit totalement hagard jusqu’à ce que la sueur qui sèche me fasse frissonner de froid et que je me rallonge en tremblant sous les couvertures.

C’est à partir de ce moment que je cesse totalement de m’alimenter. On vérifie ma tension artérielle et ma température toutes les quatre heures. On m'injecte des drogues. Le matin, vers huit heures, on prélève un peu de mon sang et on me pèse. Je me laisse faire dans un brouillard ouateux.

Greffe de moelle osseuse L’interne passe m’ausculter chaque matin. On vous fait la greffe cette après-midi, me dit-elle. Déjà j’ai perdu la notion du temps. Celui-ci refuse de s’écouler, épais comme de l’huile gelée. La greffe se résume à une simple transfusion des cellules souches qu’on m’a prélevées en décembre et débarrassées des cellules malignes.

On me la passe en deux fois à quelques heures d'intervalle. Un matin, j'ai la surprise de voir entrer dans ma chambre mon hématologue référent accompagné de l'interne. Il est de garde. Il me serre vigoureusement la main avant de m'examiner.

Bon, dit-il, un peu trop jovial à mon goût, ça se passe comme prévu. On aura peut-être un léger mieux après cette deuxième greffe... Ou peut-être pas... Le voilà qui prépare le terrain. Il me sort son "peut-être pas" comme un prestidigitateur le lapin de son chapeau, en me regardant droit dans les yeux pour voir si le message est bien reçu. Vous ne mangez plus depuis combien de temps? Je ne sais pas. Trois jours? Il faudra peut-être vous alimenter par voie parentérale... Toujours pas de température? Ça ne va pas tarder...

Le lendemain comme je me réveille à grand peine d'une nuit chaotique, je remarque avec étonnement que le liquide habituellement limpide qui s'écoule par la tubulure de ma perfusion a changé de couleur. Il est maintenant blanchâtre comme du lait mêlé d'eau.

L’interne entre à cet instant. Qu’est-ce que c’est? Lui dis-je en désignant la poche de plastique laiteuse suspendue au dessus de ma tête après qu’elle m’ait examiné. Vous savez bien. C’est l’alimentation parentérale dont on vous a parlé hier. C’est fou ce qu’on apprend à la faculté de médecine. Jusqu’à l’art de la manipulation linguistique. Comment transformer un "il faudra peut-être..." en un "on va vous imposer..." sans passer par la case du consentement éclairé.

Je n’ai vraiment pas la force de discuter. Ma température est comme prévu montée en flèche, accompagnée de diarrhées. Je commence vraiment à me sentir mal malgré les traitements que l’on me donne.

Très faible. Le matin, je dois me tenir des deux mains pour monter sur le pèse-personne. Tension à neuf-cinq. Je ne connais pas mon taux d’hémoglobine. Il ne doit pas être bien fameux.
Impossible de faire quoi que ce soit. Je ne peux pas tenir un livre plus de quelques minutes. D’ailleurs je ne comprends rien à ce que je lis. La télévision réclame trop d’efforts visuels. Il reste la radio qui même en sourdine me fatigue trop. Mieux vaut le silence. Les grandes douleurs sont muettes, n’est-ce pas?

Greffe de moelle osseuse Je m’enfonce malgré moi dans une sorte d’autisme. La leçon, je l’ai trop bien apprise. Maintenant, c’est elle qui me mène par le bout du nez.

Chaque jour, je m’arrache au vide pour dialoguer au téléphone avec Caro. Les conversations sont courtes. C’est moi qui les abrège. Antoine refuse de me parler. Il a peur. Caro m’affirme qu’il va bien. J’appelle aussi Camille.

Puis, épuisé, je replonge dans le mutisme. Les infirmières viennent toutes les quatre heures. C’est ainsi que je mesure le temps, à leurs allées et venues. Elles sont pour la plupart douces, dévouées et bienveillantes. D’autres, rares, s’irritent de mon silence. Celles-là on besoin de mots, de remerciements, de gratitude clairement exprimée. Elles veulent être payées cash. Ce sont elles qui sont dans la souffrance, beaucoup plus que moi. Désolé. Je suis à sec. Les mots sont bloqués tout au fond. Verrouillés avec le reste.

L’une d’elles perd son sang-froid au point de m’envoyer un commentaire haineux par le biais de mon blog, que chacun peut lire. Son but est clairement de me nuire. Elle veut que je souffre un peu plus. Belle leçon pour les naïfs qui imagineraient l’hôpital comme un refuge sûr. Ici comme dans la vie, le pire côtoie le meilleur. On peut faire de mauvaises rencontres.  

Un jour, après une transfusion, je commence enfin à me sentir mieux. Mes globules blancs ont atteint un niveau tel qu’on peut lever les mesures d’isolement.

Je sors du trou. Les mots reviennent. L’hématologue qui me rend visite est un peu estomaquée quand je lui dis que je souhaite sortir dès le lendemain.

Elle voudrait bien me garder encore quelques jours en observation, mais je la pousse à négocier en lui disant que je sortirai s’il le faut contre avis médical. On finit par trouver un terrain d’entente raisonnable. Je sors quarante-huit heures plus tard. Dix-neuf jours se sont écoulés.

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Commentaires
C
Votre récit est cinglant d'authenticité. Ma sœur a la meme maladie et subit les mêmes souffrances . C'est ainsi que je suis " tombée " sur votre blog . <br /> <br /> JE suis de tout cœur avec vous.<br /> <br /> Que la divine providence vous vienne en aide ou le Hasard si vous préférez . <br /> <br /> Grand courage à vous .<br /> <br /> Cordialement <br /> <br /> Camunda
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